Après une décennie dorée qui a permis l’émergence spectaculaire de la French Tech, le ciel s’est quelque peu assombri ces dernières années au-dessus de la «Startup Nation». Alors que les levées de fonds XXL s’enchaînaient en sortie de pandémie de Covid-19, la remontée des taux d’intérêt décidée par les banques centrales pour combattre l’inflation a brutalement changé les donnes.

Là où la rentabilité apparaissait presque comme la cerise sur le gâteau dans les résultats financiers d’une startup, elle est désormais un impératif aux yeux des investissements. A partir de 2022, les fonds de capital-risque ont commencé à accorder beaucoup plus d’importance à certains indicateurs financiers comme la Rule of 40 pour mesurer le delta entre croissance et rentabilité par exemple.

Bref, les exigences des investisseurs sont montées d’un cran. Et en faisant davantage preuve de prudence, les levées se sont réduites, au plus grand dam des entrepreneurs en quête d’argent frais pour s’offrir un peu d’oxygène. Résultat : le capital-risque est en berne dans l’Hexagone, comme en témoigne le premier semestre famélique durant lequel 314 startups ont levé 2,8 milliards d’euros, selon EY. Soit une baisse de 35 % en valeur et de 24 % en volume.

La qualité du deal-flow comme principal frein

Dans ce contexte, le baromètre sur la performance économique et sociale des startups de France Digitale et EY s’est penché pour la première fois cette année sur l’activité des fonds de capital-risque. L’occasion de dresser un état des lieux de cette typologie d’acteurs clés pour le financement de l’écosystème. Dans ce cadre, ce sont une cinquantaine de fonds qui ont été interrogés. Ces derniers en en moyenne 591 millions d’euros d’actifs sous gestion pour 49 participations.

Sans grande surprise, ce sont le SaaS (54 %), l’IA (43 %), la transition environnementale (43 %) et la deeptech (41 %) qui sont les domaines qu’ils affectionnent le plus pour investir. Mais l’hystérie collective autour de l’IA, qui alimente la fameuse FOMO (« Fear of Missing Out») autour des pépites du secteur, a ses travers. Et pour cause, toutes les startups ou presque se plaisent désormais à communiquer sur la manière dont elles utilisent l’IA, ce qui peut compliquer le tri des projets adressés aux fonds.

Ainsi, 59 % des fonds interrogés estiment qu’ils sont confrontés à un manque de projets de qualité dans le deal-flow. Et ce alors que 32 % des actifs sous gestion peuvent encore être déployés pour de nouveaux investissements. «Si un tiers des actifs sous gestion peuvent encore être déployés pour de nouveaux investissements, les VCs attendent de vendre leurs participations avant de réinvestir dans de nouvelles entreprises. La quête de nouvelles liquidités se heurte à un marché des sorties fortement grippé et à la baisse de qualité du deal flow», analyse France Digitale.

Lever des fonds, première préoccupation des VCs

Sur l’autre point majeur de crispation, à savoir les exits, les fonds se montrent en effet préoccupés. 35 % des VC interrogés indiquent d’ailleurs ralentir leurs investissements dans de nouvelles startups, en attendant de vendre leurs participations déjà en portefeuille. Dans le contexte actuel, où les faillites de startups se multiplient en raison d’un climat économique et politique fortement dégradé, le M&A (66 %) est logiquement la voie de sortie la plus plébiscitée ces derniers mois pour les participations du portefeuille des fonds de capital-risque. En revanche, l’IPO (1 %) reste une option très rarement choisie.

Mais plus que les exits, c’est d’abord la capacité à lever à nouveau des fonds (39 %) qui préoccupe les acteurs tricolores du capital-risque pour les prochains mois. Cette inquiétude est d’autant plus légitime que l’essentiel de l’argent provient des individuels privés (28 %), des fonds publics (20 %) et des grands groupes (17 %°). Or ces trois typologies d’acteurs, surtout celles venant de l’État, pourraient se montrer beaucoup plus frileux dans les prochains mois en raison de l’instabilité politique qui s’éternise en France. Et ce ne sont pas d’autres facteurs exogènes, comme la riposte européenne à l’unilatéralisme économique américain et le renforcement de la défense en Europe face à la menace russe, qui vont arranger la situation.

Trop peu d’institutionnels pour soutenir les fonds

Malgré l’initiative Tibi, les institutionnels se montrent encore trop timides dans le financement des fonds de capital-risque. Les assureurs (9 %), les banques privées (7 %), les caisses de retraite (3 %) et les fonds de pension (1 %) représentent en effet une part très marginale parmi les LPs des VCs. «En 2025, les individus, corporates, family offices et banques privées représentent 64 % des actifs sous gestion des VC français, loin devant les fonds publics (20 %) et les investisseurs institutionnels (13 %). Il est urgent de mobiliser d’autres sources de financement, tels les actifs des caisses de retraite privées et des fonds de pension, qui sont aujourd’hui davantage investis dans les dettes souveraines et le private equity à l’international que dans l’économie réelle européenne», observe Elina Berrebi, Founding Partner de Revaia, vice-présidente de France Digitale.

Or sans les institutionnels, impossible de lutter face à l’appétit des mastodontes américains et asiatiques du capital-risque sur le segment du late-stage, pourtant crucial pour amener les pépites européennes vers une éventuelle IPO. Pourtant, plus d’IPO signifierait plus de liquidités pour l’écosystème tricolore, et donc un cercle vertueux pour faire passer un nouveau cap à la French Tech.

Dans le contexte actuel, les VCs interrogés prévoient de faire 360 investissements dans les 12 prochains mois, soit 9 investissements en moyenne par VC. Si on se penche en détail sur les poches des VCs, 39 % des fonds souscrits sont déjà déployés, 32 % sont dédiés à de nouveaux investissements et 29 % sont conservés en réserve pour le refinancement du portefeuille. L’argent est là, mais la prudence, pour ne pas dire une immense frilosité, est de rigueur. Seulement, les fonds de capital-risque attendent des signaux positifs pour enclencher une mécanique d’investissement plus dynamique. Une stabilité politique en France constituerait déjà un premier pas dans ce sens.