Bien que le droit à la déconnexion soit légalement établi depuis 2016, offrant une protection contre l’abus de connectivité, il semble que cette mesure ne soit pas pleinement intégrée dans la conscience collective. Durant les congés d’été, 47 % des salariés n’ont pas pu s’empêcher de consulter leurs mails, 32 % ont reçu des coups de fil de leurs clients et collègues. Cette difficulté est exacerbée par l'hybridation du travail qui amenuise la frontière entre les sphères professionnelles et personnelles. Cette tendance affecte aussi la vie des entrepreneurs qui peinent à déconnecter. Et pour cause : un dirigeant serait à l'origine de 78 mails par jour, et en compterait 331 à traiter dans sa boîte mail au quotidien, d’après les conclusions de l'Observatoire de l'infobésité et de la collaboration numérique (OICN).

Selon Pierre-Etienne Bidon, cofondateur et CoCEO de moka.care, le stress du dirigeant, notamment en congé, s’explique par trois facteurs principaux : « Le degré d’ambition, le niveau de travail qui est infini quand on gère une entreprise et le rapport au risque que l’on souhaite évidemment maîtriser. » Comment réussir à dépasser ce triptyque propice à la charge mentale et poser de vrais congés réparateurs ? Quatre entrepreneurs confient leurs secrets afin que chacun et chacune puisse concocter sa propre formule de déconnexion.

Pierre-Étienne Bidon : « Il faut reprendre le contrôle sur son emploi du temps »

Le confondateur de Moka.care connaît bien le sujet de la charge mentale puisque l’application qu’il a créée accompagne la santé psychologique et mentale de nombreux salariés et dirigeants. « En tant qu’entrepreneur, durant les deux premières années, je travaillais trop, au détriment du sport et de la famille, deux piliers pour mon équilibre. » Ses conseils ? Mieux organiser son quotidien pour partir (plus) serein en vacances  : « Le plus important est la prise de recul en essayant de prioriser les pans importants de sa vie. J’ai donc adopté une démarche rigoureuse qui consiste à planifier ma semaine à outrance, incluant des créneaux structurants pour mon équilibre. » 

Pierre-Étienne Bidon recommande également de réduire la dépendance parfois toxique au téléphone en arrêtant les notifications : « Que ce soit en congé ou au travail, il faut reprendre le contrôle sur son emploi du temps ». Pour cela, il a décidé de travailler le plus possible sur papier pour favoriser la créativité, « évitant ainsi les réflexes compulsifs sur le téléphone. » Pour finir, il est important, selon lui, de profiter des vacances pour mener des activités qui stimulent la sérotonine, une hormone qui agit comme un antidépresseur naturel. À savoir ? Des activités sportives, des intéractions avec les autres ou encore des exercices de respiration ou en pleine conscience pour maintenir un bien-être mental et émotionnel

Jean-Baptiste Pondevy : « Je décide de passer mes vacances dans un endroit où je ne capte pas »

La démarche du cofondateur et PDG d'Ocode pour déconnecter est plutôt radicale : « Je décide de passer mes vacances dans un endroit où je ne capte pas ». En effet, choisir des destinations sans réseau ni wifi est devenu un choix conscient, une véritable stratégie pour une déconnexion totale… mais forcée. Il va même plus loin : « En mai dernier, j'ai décidé de m'affranchir de mon téléphone pendant douze jours. Je l’ai confié à ma femme en informant mon équipe qu’il fallait passer par elle en cas d'urgence. » Cette démarche exige un peu d’organisation, de communication et de planification en amont puisque l’enjeu est le suivant : « se rendre indispensable : un défi majeur pour tout entrepreneur ». Fort de ces deux expériences, désormais, le dirigeant a sanctuarisé des moments dans l’année exempts de tentation numérique. 

Stéphanie Hervier : « L'entrepreneuriat est une course de fond : pour tenir, j'ai mis en place une routine pour déconnecter... » 

La cofondatrice et DG de Medaviz, éditeur de solutions de télémédecine pour le professionnels de santé, confie une méthodologie pour lever le pied sans culpabiliser pendant ses vacances. « L'entrepreneuriat est une course de fond : pour tenir, j'ai mis en place une routine pour déconnecter... tout en suivant les sujets de loin. » En journée, la dirigeante met son téléphone en mode avion. Le soir, elle se connecte une fois pendant 30 minutes, montre en main, pour garder un œil macro sur les nouvelles quotidiennes : « J’évite ainsi le stock de mails ou l’empilement de messages sur slack à mon retour qui est une vraie source de stress. »

Des processus annexes sont importants à mettre en place avec l’équipe : « J'invite les personnes, notamment mes collaborateurs, à me contacter uniquement par SMS en cas d'urgence. Ainsi, je centre tout sur un seul canal de communication et me concentre sur les sollicitations urgentes. » En adoptant cette hygiène rigoureuse, Stéphane Hervier évite les écueils de ses premières années d’entrepreneuriat : « Je ne compte plus les visios importantes assurées pendant les vacances, installée dans une pièce éloignée du bruit ambiant et où les enfants débarquent en plein milieu. » Une charge mentale dont il faut s’extraire en essayant de compartimenter au maximum les différents temps de vie. 

Capucine Roche :  « Les automatismes de déconnexion aideront à activer le mode vacances » 

Pour la cofondatrice et PDG de Letsignit, outil qui transforme les signatures de mail en canal de communication, il est essentiel qu'un entrepreneur puisse « se monitorer avec conscience : s'il n'est pas en mesure de le faire, il met en danger l'entreprise. » Pour cela, il faut s'autoriser voire s'imposer régulièrement des pauses vacances : « En janvier 2021, je me souviens avoir mené des entretiens individuels en début d'année : j’ai constaté que les collaborateurs étaient épuisés. Cela m'a fait l'effet d'un électrochoc et je me suis dit qu'il fallait trouver un moyen de créer davantage de moments de déconnexion pour tous. » L’entreprise a donc revu sa politique RH : « Nous avons ajouté 12 jours de congés supplémentaires pour tous, afin de s'investir dans des projets associatifs, du mentorat, etc. » Autre point structurant pour une vraie déconnexion : la confiance. « Il faut pouvoir s'appuyer sur son équipe : c'est souvent un excellent moment pour que certaines personnes se révèlent ! » Ensuite, lors de ses congés, l'enjeu est de poser dans sa journée « des parenthèses 100% dédiées aux vacances » en adoptant des routines telles que le yoga, la cohérence cardiaque ou le sport. « Les automatismes de déconnexion aideront à activer le mode vacances. »